Webedia-post-banner

Entretien avec Fred Moussa : Comment le podcast devient le format phare des créateurs ?

21 février 2024 - 

Temps de lecture : 8 minutes

Le succès du podcast ne cesse de croître partout dans le monde et la France ne déroge pas à la règle. 5,8 millions de Français, soit 9% de la population, écoutent des podcasts natifs au moins une fois par semaine. Fred Moussa, Head of Podcast Publisher Solutions chez Megaphone, une marque du groupe Spotify France, nous parle de la place du podcast dans le paysage médiatique français, de son évolution dans le milieu de l’influence et comment il devient le format phare des créateurs de contenu.

Peux-tu te présenter ? 

Je m’appelle Fred Moussa, j’ai rejoint Spotify en septembre 2022 sur le bureau français.
J’ai un historique très adtech (Advertising Technologies N.D.L.R) car j’ai passé 14 ans chez Google. Avant ça, j’ai passé quelques années chez Doubleclick qui était le leader adserving. Google l’a racheté quand ils ont pris un virage display / vidéo. Depuis 2018, je travaille chez Google en tant que référent sur la partie audio pour la France où on a développé des solutions de streaming de publicité audio. Dans les derniers grands chantiers publicitaires, on peut citer la télé segmentée, le retail media et l’audio. De ces trois sujets, c‘est l’audio qui m’intéressait le plus. 
Le podcast a besoin de solutions d’hébergement qui permettent de le distribuer sur toutes les plateformes, d’obtenir du reporting d’activité, tout en proposant des outils aux créateurs de contenu. Par exemple, si tu es basé en Australie et que tu écoutes un podcast français comme celui de Lena Situations, c’est ton hébergeur qui va garantir la disponibilité immédiate du podcast sur ta plateforme d’écoute.

Tu es Head of Podcast Publisher Solutions chez Megaphone du Spotify France, peux-tu expliquer en quoi consiste ton métier ?

Ma responsabilité au sein de Megaphone est de piloter l’activité en France et de faire le lien avec les équipes produit afin de le faire évoluer selon les besoins européens. On commercialise cette solution auprès des podcasters et publishers mais aussi auprès des maisons et des radios françaises qui font du podcast et du replay d’émissions. Cela va aussi concerner les grands quotidiens et les médias. On s’adresse également aux agences de talents et aux créateurs qui utilisent différents leviers pour partager et diffuser leurs contenus comme le podcast. C’est un levier important qui grossit. Chez Spotify, on voit les tendances sur notre plateforme. On constate que c’est un média qui est en nette augmentation sur le marché. Le podcast est un média d’engagement, du temps long. Ce qui est en opposition au temps très court avec des shorts, des reels ou encore TikTok. 

Pourquoi le podcast est un bon moyen de communication pour les marques ? Comment touche-t-il l’audience ? 

Je pense qu’en France ça répond à deux axes : le premier est historique. Des groupes de radio sont présents sur tout le territoire. L’offre radio est très importante. Cela colle à l’histoire du pays avec notamment l’importance qu’elle a eu durant la deuxième guerre mondiale. C’est un prolongement du contenu linéaire disponible sur une grille d’écoute. C’est le cas notamment de la télé qu’on a connue jusqu’à présent. Cela s’oppose au non linéaire qui est représenté par le podcast. La France est par ailleurs, un pays qui a une très forte propension à écouter des contenus audio via la radio. On observe depuis 10 ans la délinéarisation des contenus avec l’émergence du replay et des plateformes comme YouTube et Netflix. On peut constituer sa propre sélection et l’écouter à tout moment. Ça, c’est la partie historique et structurelle. 

Toutefois, je pense qu’une autre partie est tout aussi importante. On dit souvent que c’est un média d’engagement. On prend le temps d’écouter un podcast. Il y a des podcasts qui sont très courts et qui durent 10 ou 12 minutes mais certains durent plus de deux heures. C’est un temps d’expression qui n’est pas haché, qui est immersif. C’est pourquoi, on dit aussi que c’est un contenu qui permet de faire autre chose en même temps. Par ailleurs, les pics d’audience sont souvent lors de mobilité, de transport. C’est également un temps d’engagement à la maison. Il accompagne lors de choses très basiques comme faire le ménage. On est capable de vraiment se concentrer et les deux se marient bien.
En effet, les podcasts temps longs comme ceux sur l’histoire par exemple, peuvent résonner car on est capable de s’y consacrer, de ne pas être perturbé. Ce n’est pas un feed TikTok, on n’est pas gêné par des publicités. Elles sont pour le moment très bien acceptées dans le flux.

En résumé, c’est à la fois contextuel en France avec l’historique et structurel avec les changements vers le non linéaire, poursuit Fred. Écouter ce que l’on veut quand on veut. Une fois que les podcasteurs ont trouvé leur niche ou un contenu intéressant à développer, on est happé. S’ils sont réguliers, ils vont pouvoir fédérer des communautés, des audiences. Il n’y a donc rien de mieux pour les créateurs que de pouvoir développer ça autour du podcast et ainsi pouvoir communiquer auprès des marques. C’est ce que fait très bien Webedia, c’est-à-dire, à la fois pousser des marques, proposer du contenu mais surtout fédérer des communautés autour du contenu, conclut-il.

Le podcast touche tous les secteurs, toutes les sphères. On le voit notamment avec les créateurs de contenu qui lancent leur propre podcasts. Comment expliques-tu le succès de leurs podcasts ? Est-ce que l’engagement est vraiment plus important ?

Je n’ai pas une seule réponse à ça. Ce sont des choses qui sont en train d’évoluer. Depuis peu, les créateurs sont arrivés sur les plateformes de streaming comme Spotify. Il y a deux ans, on a vu une nette accélération. Le Covid a été un accélérateur où les gens avaient énormément de temps pour le online en 2020-2021. C’est l’accélération de la capacité des gens à trouver du contenu de niche autour de créateurs qui ne sont pas grands publics ou établis. 

En outre, il s’agit d’une accélération de l’arrivée de ces créateurs depuis 2023. Ils ont généralement une très belle communauté sur des plateformes comme Twitch, YouTube ou TikTok. Ils vont développer le podcast pour continuer à créer des audiences et à porter leur marque, leur contenu, sur toutes les plateformes. Spotify est une plateforme avec 600 millions de membres qui va dépasser la barre des 1 milliard d’utilisateurs dans le monde dans quelques années. Selon moi, les créateurs veulent tester et pousser leurs contenus à travers le format audio qui est une déclinaison.

Puis, il y a ceux qui portent stricto sensu leurs contenus vidéos qu’ils vont transformer en flux audio. C’est le cas d’HugoDécrypte avec ses actualités ou Domingo avec son émission PopCorn qui est déclinée en podcast. C’est soit par volonté de créer des audiences sur Spotify ou Apple Podcasts mais aussi parfois à la demande de leurs audiences. Certains créateurs de contenu sont incités à transformer leurs contenus vidéos en audio. La raison est, peut-être, parce qu’une écoute de son contenu vidéo sur la plateforme YouTube n’était pas possible sans version premium sur un écran verrouillé alors que c’est le cas sur Spotify.

Spotify permet d’ajouter de la vidéo au podcast, ça ne fait pas doublon avec YouTube ? Qu’ajoute la vidéo dans le podcast? 

Ce sont des choses assez récentes. Un flux vidéo est possible sur l’application desktop ou l’application mobile Spotify mais ce sont des nouveautés. Il y a une partie des créateurs qui testent ça. Ils construisent ainsi des audiences tout en continuant à diffuser un flux audio podcast sur les autres plateformes. On n’a pas beaucoup de recul là-dessus. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il y a un engouement. Ça répond certainement à un besoin de créateurs qui ont déjà du contenu vidéo sur d’autres plateformes, comme Domingo.

Est-ce que les choses doivent rester séparées? Spotify fait uniquement de l’audio et YouTube de la vidéo ? Un podcast peut être à la fois audio et vidéo. On voit que YouTube s’est dirigé vers le podcast pour ne pas se dénaturer et ne pas perdre des créateurs. Nous, de notre côté, on prend le chemin inverse. Nous sommes capables de proposer de la vidéo à ceux qui ont un très fort ADN vidéo et ainsi attirer des créateurs. Notre volonté est d’être le meilleur hub pour les créateurs et notre plus grand concurrent, tu l’auras deviné, est YouTube, affirme Fred.

Je ne pense pas qu’on dénature la plateforme. Il est trop tôt pour le savoir. Je crois que le plus important, c’est que les utilisateurs aient le choix d’utiliser un contenu audio ou vidéo comme ils le souhaitent. YouTube Premium ou Spotify est une bonne réponse car on peut regarder du contenu vidéo et même en verrouillant le téléphone. On peut continuer à écouter la vidéo comme un podcast audio. C’est à l’utilisateur de choisir en fonction du contexte dans lequel il est. Dans le podcast, il y a une question de qualité. Il y a de gros moyens qui sont mis dans la vidéo maintenant. Des personnes comme Squeezie étaient certainement dénigrées au début par les gens de la télé. On voit maintenant les moyens déployés pour réaliser des expériences vidéo qui ressemblent aux plateaux télé avec des cadreurs.

Cependant, on peut se poser la question de ce que vont devenir la vidéo et l’audio avec l’arrivée de l’IA. L’arrivée de Sora par OpenAI ou des projets Google comme Lumière annoncent aussi de profonds changements. Par conséquent, on peut imaginer avoir beaucoup de contenus qui seraient générés automatiquement avec une moins forte présence humaine. Est-ce que cela va trouver son audience ? Qu’est-ce que ça veut dire en termes de qualité de contenu ? Ça reste à voir. 

Le marketing d’influence n’est plus à présenter. Il est partout sur les réseaux sociaux. Comment le marketing d’influence se présente dans le monde du podcast ? Et comment faire du podcast un levier d’influence ?

De ce que j’observe depuis deux ans, il y a deux types de podcasts qui se côtoient. Le podcast de contenu, où l’on met à disposition du contenu auprès de l’audience. On travaille la qualité du contenu et la récurrence. Puis, il y a le podcast de marque qui est essentiellement destiné à des marques qui veulent communiquer auprès de leur communauté, que l’on retrouve dans beaucoup d’agences. 

Des choses plutôt hybrides existent aussi. Il y a beaucoup d’entités audio ou vidéo qui vont développer du contenu éditorial qui va être sponsorisé. Certains vont intégrer les marques qui sont alignées avec le discours au sein même de leur contenu. Par conséquent, les intégrer dans la construction éditoriale. Beaucoup de podcasts de marque se font en one shot alors que le podcast est un média du temps long. Il faut créer beaucoup de contenu pour développer une audience. C’est alors à prendre en compte car la recherche de podcast est assez compliquée sur les plateformes de streaming. Certaines startups comme Voxalyze ou Ausha essaient de proposer des solutions de SEO adaptées au metadata podcast pour les plateformes de streaming.
Faire du podcast un levier d’influence, c’est tout à fait possible pour le podcast de marque au sein d’une ligne éditoriale qui est déjà installée. En tant que podcast pur de marque il faut avoir une marque forte, une histoire à raconter. 

Est-ce que tu considères le podcast comme complémentaire à toute stratégie ?  Est-ce qu’on peut considérer qu’il a plus d’impact ?

Il faut trouver le bon levier. Ça dépend du sujet traité. Le podcast comme la newsletter sont des sujets pour s’adresser à une communauté qui est en demande d’information, de divertissement. Tu peux les toucher avec ces leviers-là. Je ne suis pas sûr que le podcast soit un levier unique ou que toutes les marques aient besoin d’en créer un. Le podcast ne répond pas à tous les besoins. Il faut un temps long, un sujet assez vaste. Ça dépend de la marque dont on parle, du sujet. 

Et comment amplifie-t-il le potentiel d’une marque ? En s’associant avec un podcast déjà établi ? 

C’est tout le sujet. Je fais un parallèle avec les publicités. La reine mère des publicités dans le podcast, c’est ce qu’on appelle le host read. Le host du podcast va lire une publicité et l’incarner. C’est celles qui sont le mieux payées, avec le CPM (Coût Pour Mille N.D.LR.) le plus élevé. Ça prend du temps, il faut trouver le bon incarnant et se mettre d’accord. C’est de la narration. Ça fait partie du marketing d’influence et du brand content.  

Tu souhaites ajouter quelque chose pour terminer ? 

Pour les créateurs, c’est un excellent nouvel écosystème qui est soit un complément soit une nouvelle aventure. Ça va continuer à progresser. Je pense qu’on est juste dans le passage à maturité des podcasts. Prenons l’exemple des États-Unis où la courbe des écoutes live est passée derrière la courbe des écoutes replay /  podcasts. C’est un signe fort de cette maturité. 

 

En conclusion

 

 

Le podcast a de beaux jours devant soi. Le format intéresse les marques comme les créateurs car c’est un excellent moyen d’entrer dans l’intimité de l’audience et de se rapprocher des communautés. Ce média du temps long et de l’immersion en fait un parfait levier de marketing d’influence. Que l’on s’associe à un créateur de contenu ou que l’on y glisse une publicité, le podcast paraît être l’arme ultime pour faire passer un message à son public. 

 

Nos derniers articles